jeudi 17 octobre 2013

De la traduction du Notre Père

La prière du Seigneur en Araméen
"La version dite « œcuménique » du Notre Père a suscité de nombreux débats et de nombreuses interrogations. Cette traduction est aujourd’hui largement remise en question. De nombreux travaux, notamment du père catholique Jean Carmignac, et l’ouvrage récent de Jean-Marie Gourvil, permettent d’approfondir cette question. Sur celle-ci, Jean-François Colosimo a publié dans Le Monde des religions (n°8, novembre-décembre 2004) le texte que nous vous proposons ci-dessous avec son accord.

La prière la plus récitée de l’histoire est aussi la plus méconnue au monde. Car la plus mal lue, en raison de détournements qui outrepassent  les querelles d’interprétation. Ce n’est pas, en effet, que les traductions courantes du « Notre Père » soient fautives, abusives, discutables. C’est qu’elles  sont imaginaires. Elles s’instituent contre la littéralité  du grec pour y substituer  un texte inexistant.

Ainsi de  la version française usuelle, dite « œcuménique ». Les mots de la koinè s’y effacent derrière la naturalisation des sédimentations exégétiques et théologiques  qui finissent par en interdire l’accès. Il y a d’abord les approximations qui brouillent le caractère performatif de l’invocation initiale. Le « Père », revendiqué « notre », est  non pas « aux cieux », mais « du Ciel ». Il ne s’agit pas de le localiser mais de le proclamer origine absolue en reconnaissant qu’il n’est qu’une paternité, la sienne, exclusive. Le règne n’est pas un « à venir », mais un « déjà là », et il n’y a pas souhait mais constat de sa présence. Le « nom » est plutôt à « glorifier » qu’à « sanctifier » car il relève  de cette immédiateté du Royaume dont la manifestation même réalise  la volonté  divine pour l’entière création – « sur la terre et aux cieux ». Eschatologique, cette première période, restituée à son unité intrinsèque, écarte donc le biais cosmologique, sapiental, providentialiste que lui imprime la version « œcuménique ».

Mais c’est dans la seconde période que les approximations tournent  à l’invention. Le « pain », en rien  « quotidien », est au contraire celui « du futur », nécessaire ici et maintenant à  survivre seulement pour que se découvre la nécessité de la vie qui passe la survie ; aussi faut-il le dire « essentiel ». Quant au « pardon » et aux « offenses », ils relèvent du pur fantasme puisqu’il n’en est fait aucunement mention. Il est  question, en revanche, de « dettes » et de « remise de dettes ». L’orientation est encore eschatologique : l’état terrestre n’est  pas état de subsistance mais de transition et, pour nous y  projeter, nous réclamons à Dieu de pouvoir nous juger nous-mêmes à l’aune du Royaume. Loin d’une quelconque loi de compensation à laquelle renvoient les torsions juridiques, moralisatrices, psychologisantes de la version « œcuménique », c’est la souveraineté de la liberté qui est ici affirmée.

Enfin, dans la troisième période, la formule « ne  nous soumet pas à la tentation », variation sur l’antique « ne  nous laisse pas succomber » ,  paraîtrait   blasphématoire, si elle n’était tout simplement fausse.  Il y va, à l’inverse,  de la certitude que dans l’épreuve, factuelle, inévitable, peut être souhaitable, la seule vraie menace tiendrait à l’excès, l’impossibilité de l’endurer par soi hors du secours divin –« nous ne pouvons  entrer seuls dans ce que nous pouvons traverser mais qui est aussi ce par quoi nous ne voulons pas être traversés ». Car c’est du « Malin », l’adversaire « meurtrier depuis le commencement » dit ailleurs Jésus, et non pas du « Mal » abstrait de l’éthique, que nous demandons à être « délivrés ». Cette délivrance, apocalyptique, achevant en plénitude l’éternel présent du Royaume.

Comment dès lors rendre en français un « Notre Père » qui soit le moins menteur possible?  Parmi d’autres, le philosophe Pierre Boutang et le théologien Nicolas Lossky s’y sont essayés. En leur empruntant à tous deux, voici ma propre esquisse : « Notre père du ciel, que ton nom soit glorifié, que ton règne advienne, que soit faite ta volonté –sur la terre comme aux cieux ! Donne-nous ce jour notre pain essentiel ; remets nos dettes comme aussi nous remettons à nos débiteurs ; et ne nous laisse pas persévérer dans l’épreuve, mais délivre-nous du Malin »
Jean-François Colosimo (source)

En toute humilité je proposerai ces variantes par rapport aux commentaires pertinents et au texte proposé par Jean-François Colosimo :
Au lieu de :
  • "Donne-nous ce jour notre pain essentiel > Donne-nous chaque jour notre pain suressentiel
  •  remets nos dettes comme aussi nous remettons à nos débiteurs >Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises à nos débiteurs
  •  et ne nous laisse pas persévérer dans l’épreuve > Et ne nous abandonne pas dans la tentation.
Voir tout de même les très nombreuses traductions en français au long des siècles ICI dans ce blog même.


1 commentaire:

  1. Les remarques de JF Colossimo sont plutôt des réflexions théologiques. Du strict point de vue de la traduction, ce qu'il écrit est parfaitement faux. Pour ne prendre que les premières demandes : Πάτερ ἡμῶν veut bien dire "Notre Père" , ὁ ἐν τοῖς οὐρανοῖς "aux cieux" (au pluriel)et ἁγιασθήτω "sanctifier".

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