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La prière du Seigneur en Araméen |
"La version dite « œcuménique » du Notre Père a suscité de
nombreux débats et de nombreuses interrogations. Cette traduction est
aujourd’hui largement remise en question. De nombreux travaux, notamment du
père catholique Jean Carmignac, et l’ouvrage récent de Jean-Marie Gourvil,
permettent d’approfondir cette question. Sur celle-ci, Jean-François Colosimo a
publié dans Le Monde des religions (n°8, novembre-décembre 2004) le texte que
nous vous proposons ci-dessous avec son accord.
La prière la plus récitée de l’histoire est aussi la plus
méconnue au monde. Car la plus mal lue, en raison de détournements qui
outrepassent les querelles
d’interprétation. Ce n’est pas, en effet, que les traductions courantes du «
Notre Père » soient fautives, abusives, discutables. C’est qu’elles sont imaginaires. Elles s’instituent contre
la littéralité du grec pour y
substituer un texte inexistant.
Ainsi de la version
française usuelle, dite « œcuménique ». Les mots de la koinè s’y effacent derrière
la naturalisation des sédimentations exégétiques et théologiques qui finissent par en interdire l’accès. Il y
a d’abord les approximations qui brouillent le caractère performatif de
l’invocation initiale. Le « Père », revendiqué « notre », est non pas « aux cieux », mais « du Ciel ». Il
ne s’agit pas de le localiser mais de le proclamer origine absolue en
reconnaissant qu’il n’est qu’une paternité, la sienne, exclusive. Le règne
n’est pas un « à venir », mais un « déjà là », et il n’y a pas souhait mais
constat de sa présence. Le « nom » est plutôt à « glorifier » qu’à « sanctifier
» car il relève de cette immédiateté du
Royaume dont la manifestation même réalise
la volonté divine pour l’entière
création – « sur la terre et aux cieux ». Eschatologique, cette première
période, restituée à son unité intrinsèque, écarte donc le biais cosmologique,
sapiental, providentialiste que lui imprime la version « œcuménique ».
Mais c’est dans la seconde période que les approximations
tournent à l’invention. Le « pain », en
rien « quotidien », est au contraire
celui « du futur », nécessaire ici et maintenant à survivre seulement pour que se découvre la
nécessité de la vie qui passe la survie ; aussi faut-il le dire « essentiel ».
Quant au « pardon » et aux « offenses », ils relèvent du pur fantasme puisqu’il
n’en est fait aucunement mention. Il est
question, en revanche, de « dettes » et de « remise de dettes ».
L’orientation est encore eschatologique : l’état terrestre n’est pas état de subsistance mais de transition
et, pour nous y projeter, nous réclamons
à Dieu de pouvoir nous juger nous-mêmes à l’aune du Royaume. Loin d’une
quelconque loi de compensation à laquelle renvoient les torsions juridiques,
moralisatrices, psychologisantes de la version « œcuménique », c’est la
souveraineté de la liberté qui est ici affirmée.
Enfin, dans la troisième période, la formule « ne nous soumet pas à la tentation », variation
sur l’antique « ne nous laisse pas
succomber » , paraîtrait blasphématoire, si elle n’était tout
simplement fausse. Il y va, à
l’inverse, de la certitude que dans
l’épreuve, factuelle, inévitable, peut être souhaitable, la seule vraie menace
tiendrait à l’excès, l’impossibilité de l’endurer par soi hors du secours divin
–« nous ne pouvons entrer seuls dans ce
que nous pouvons traverser mais qui est aussi ce par quoi nous ne voulons pas
être traversés ». Car c’est du « Malin », l’adversaire « meurtrier depuis le
commencement » dit ailleurs Jésus, et non pas du « Mal » abstrait de l’éthique,
que nous demandons à être « délivrés ». Cette délivrance, apocalyptique,
achevant en plénitude l’éternel présent du Royaume.
Comment dès lors rendre en français un « Notre Père » qui
soit le moins menteur possible? Parmi
d’autres, le philosophe Pierre Boutang et le théologien Nicolas Lossky s’y sont
essayés. En leur empruntant à tous deux, voici ma propre esquisse : « Notre
père du ciel, que ton nom soit glorifié, que ton règne advienne, que soit faite
ta volonté –sur la terre comme aux cieux ! Donne-nous ce jour notre pain
essentiel ; remets nos dettes comme aussi nous remettons à nos débiteurs ; et
ne nous laisse pas persévérer dans l’épreuve, mais délivre-nous du Malin »
Jean-François Colosimo (source)
En toute humilité je proposerai ces variantes par rapport aux commentaires pertinents et au texte proposé par Jean-François Colosimo :
Au lieu de :
- "Donne-nous ce jour notre pain
essentiel > Donne-nous chaque jour notre pain suressentiel
- remets nos dettes comme aussi nous remettons à nos débiteurs >Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises à nos débiteurs
- et
ne nous laisse pas persévérer dans l’épreuve > Et ne nous abandonne pas dans la tentation.
Voir tout de même les très nombreuses traductions en français au long des siècles
ICI dans ce blog même.